Cette petite île de deux kilomètres de long et d’un demi-kilomètre de large, située dans l’estuaire du Saint-Laurent face à la ville de Trois-Pistoles, est reconnue comme site patrimonial tant pour la richesse de ses ressources naturelles que culturelles. La Société Provancher d’histoire naturelle du Canada achète en 1929 l’île aux Basques pour en faire une des toutes premières réserves naturelles protégées au Québec, en raison de sa grande diversité ornithologique. En effet, on y compte quelque 229 espèces recensées, soit près des deux tiers des espèces d’oiseaux connues dans la province. Quant à l’histoire culturelle, l’île renferme une variété importante de sites amérindiens et elle constitue le premier lieu d’établissement des Basques sur le territoire actuel du Québec, à la fin du XVIe siècle. L’île aux Basques est donc l’un des premiers sites d’occupation européenne dans l’est du Canada. Un centre muséographique, baptisé Parc de l’aventure basque en Amérique, a été construit en 1996 sur la terre ferme, à Trois-Pistoles, et un autre sur l’île en 1999, afin d’informer le public de cette page fascinante mais peu connue de l’histoire canadienne. La Commission des lieux et monuments historiques du Canada a classé l’île aux Basques Lieu historique national du Canada en 2001.
Article available in English : Île aux Basques
Une nature riche par sa variété
La richesse du patrimoine naturel de l’île aux Basques réside dans la grande variété des espèces de plantes et d’oiseaux qu’on y trouve, qui contraste fortement avec la petitesse de l’île. D’une superficie d’à peine 55 hectares, l’île renferme 336 espèces de plantes et 229 espèces d’oiseaux différentes. Cette forte concentration de végétaux et de volatiles sur une aussi petite superficie en fait un lieu d’observation exceptionnel pour les visiteurs. La diversité de l’île aux Basques s’explique par sa géographie, puisqu’elle est située dans la zone de transition de l’estuaire du Saint-Laurent, où s’effectue le passage de l’eau douce à l’eau salée, et dans un territoire de forêt mixte. L’île accueille donc des oiseaux d’eau douce, de milieu marin, des forêts de feuillus et des forêts de conifères. De plus, comme elle est située à cinq kilomètres de la terre ferme, les oiseaux y sont à l’abri des prédateurs et peuvent nicher et se reproduire sans danger.
Primula laurentiana
L’île aux Basques représente une réserve importante de plantes autochtones et un lieu d’observation de la végétation d’origine du Québec. En effet, la plupart des plantes sont indigènes en raison de l'isolement et de la faible fréquentation humaine de l’île. Le couvert végétal se singularise aussi par son nombre élevé de plantes arctiques, quatorze en tout, soit beaucoup plus que dans les régions avoisinantes (NOTE 1). Certaines parties de l’île ressemblent aux paysages pelés de la toundra, balayés par les vents du nord-ouest et entourés par les eaux froides du courant du Labrador qui vient mourir dans l’estuaire du Saint-Laurent. Plusieurs spécimens de plantes rares se trouvent également sur l’île, notamment la violette à fleur blanche, Viola adunca, découverte par le botaniste canadien Jacques Rousseau en 1933, introuvable ailleurs au Québec. Signalons aussi la Primula laurentiana, petite primevère qui orne les rochers maritimes et dont l’île aux Basques marque la limite méridionale de sa répartition en Amérique du Nord.
Eider à duvet
Toutefois, l’île aux Basques est surtout connue pour l’abondance et la variété de ses oiseaux. Pendant les périodes de migration, à l’automne et au printemps, la population des oiseaux monte en flèche. Sur la centaine d’espèces d'oiseaux qui nichent sur l’île, l’eider à duvet est l’espèce dominante. Ce canard demeure très recherché pour la qualité de son duvet, comme son nom l’indique. Parmi les plus majestueux oiseaux qu’on peut observer à l’île, citons le grand héron, d’une envergure de 1,80 m et dont la colonie compte une vingtaine de couples annuellement. Tout aussi spectaculaire est le balbuzard, avec une envergure de 1,30 m, reconnaissable par son cri insistant et son nid démesurément gros. Un même couple de balbuzards a niché régulièrement à l’île aux Basques pendant une trentaine d’années(NOTE 2). Avant d’être un lieu d’observation, l’île a aussi servi de site de baguage des oiseaux, afin d’étudier leurs mouvements migratoires et leurs cycles de vie, ainsi que de site de chasse.
Un patrimoine historique unique
Cette petite île est aussi riche d’histoire. Les fouilles archéologiques menées ces dernières années démontrent que les groupes amérindiens la fréquentaient régulièrement bien avant l’arrivée des Européens. Les occupations amérindiennes identifiées jusqu’à ce jour remontent à la dernière grande période de la préhistoire, connue sous le nom de Sylvicole (de 1 000 ans avant notre ère jusqu’à 1 500 ans de notre ère). L'île aux Basques semble avoir été fréquentée par de petits groupes de chasseurs-cueilleurs qui campaient sur l'île, quelques jours à la fois, au printemps et à l'été, pour pratiquer la chasse, la pêche et la cueillette. C'est surtout le phoque commun qui attirait les populations préhistoriques, puisqu'il représente, à lui seul, plus des trois quarts des ossements exhumés des sites amérindiens. La présence d'objets exotiques dans la collection archéologique (tels des quartzites du lac Mistassini, situé non loin de la baie James au centre nord du Québec, du quartz de la baie de Ramah située sur la côte nord du Labrador, ou encore des cherts appalachiens qui proviennent du Maine) suggère des échanges relativement importants entre les diverses populations amérindiennes du nord-est de l’Amérique. Au cours de sa longue préhistoire, l'île aux Basques a sans doute été partagée par plusieurs groupes amérindiens, tant iroquoiens qu'algonquiens, comme l’indiquent les vestiges archéologiques trouvés sur place. Il faut dire que l'île est située au carrefour de trois cours d'eau majeurs : le fleuve Saint-Laurent qui relie les Grands Lacs à l'océan Atlantique, le système hydrographique du Saguenay, dont l’embouchure se situe vis-à-vis de l’île aux Basques et, enfin, les rivières Saint-Jean et des Trois Pistoles, qui forment un axe de circulation nord-sud entre le golfe du Maine et le Québec central.
De lieu fréquenté par les seuls Amérindiens, l'île aux Basques est devenue au XVIe siècle une terre d'accueil des premiers établissements européens dans la vallée du Saint-Laurent(NOTE 3). Selon l'état actuel des connaissances, les Basques ont occupé l'île sur une base saisonnière à partir des années 1580, soit bien avant la fondation de Québec par Champlain, en 1608, ce qui en fait l’un des plus anciens sites européens du Canada actuel, dûment identifié et daté par des documents historiques et des vestiges archéologiques. C’est aussi le premier site européen du Canada qui renferme des indices probants de contacts entre les Européens et les Amérindiens.
Illustration représentant un établissement côtier destiné à la fonte des graisses de baleines.
L’île aux Basques renferme trois lieux d’occupation basques, chacun comprenant des grands fours construits en pierres locales servant à la fonte des graisses de baleine. La structure de ces fours représente un ensemble imposant, composé de murs d'environ un mètre d'épaisseur et d'un mètre de hauteur. De forme circulaire, le four soutenait une énorme chaudière en cuivre placée sur l'orifice supérieur. Une ouverture située à l’avant de la structure permettait d'alimenter le feu du foyer. La chasse se pratiquait avec des « biscayennes », petites embarcations fines conçues pour la vitesse, qui étaient transportées sur le pont des navires baleiniers jusqu’au lieu de la chasse. Les fouilles archéologiques démontrent que les baleines étaient remorquées avec ces biscayennes le plus près possible des rives de l’île, à marée haute. Puis la marée descendante les déposait tout naturellement sur la plage, où elles étaient dépecées et leur graisse coupée en morceaux qu’on faisait fondre dans les grands chaudrons placés sur les fours.
Fragments d'un vase présentant les attributs des vases iroquoiens. Célat, Université Laval.
Comme les Amérindiens, les Basques se sont établis sur cette île pour chasser — les uns le phoque, les autres la baleine. C'est donc probablement la chasse qui a favorisé la rencontre de ces deux groupes et le développement de leurs échanges. Les actes notariés de Bordeaux font état de plusieurs navires basques avitaillés pour la chasse à la baleine et la traite des fourrures dans cette partie du Canada, pendant les deux dernières décennies du XVIe siècle(NOTE 4). Les fouilles archéologiques menées à l'île aux Basques ont permis de découvrir certains de ces objets de traite, notamment des perles de verre, ainsi que des objets employés par les Basques pour pratiquer la chasse (harpon, couteaux, pots en terre cuite) et des objets typiquement amérindiens (pointes de flèche, grattoirs, vases). L’enchevêtrement du matériel basque et amérindien était tel que les archéologues ont d’abord pensé qu’il s’agissait d’un site amérindien contenant des objets de traite basques. Puis l’hypothèse d’un site basque avec des objets amérindiens l’a emporté. Quoi qu’il en soit, l’île aux Basques fournit un exemple intéressant d’un patrimoine métissé, comprenant les éléments de l’une et de l’autre culture. Ce patrimoine métissé de l’île aux Basques contribue à en faire un lieu patrimonial unique puisqu’il représente l’une des premières tentatives archéologiques pour étudier systématiquement les relations interculturelles dans le sol.
La mise en patrimoine de l’île
En dépit de sa riche histoire naturelle et culturelle, l’île aux Basques est restée une île du fleuve Saint-Laurent comme les autres jusqu’à ce que la Société Provancher l’achète en 1929, pour en faire un site naturel protégé. Créée à Québec en 1919 par les élites intellectuelles de l’époque, la Société Provancher d’histoire naturelle du Canada jouit alors d’un grand prestige, entretenant des liens serrés avec la puissante National Audubon Society de New York, dont la vocation est la conservation de la faune et de la flore en Amérique du Nord. À l’instar de sa grande sœur, la Société Provancher s’était donné comme mission de protéger la faune et la flore du Québec et de faire la chasse aux braconniers. Dès qu’elle acquiert l'île, la Société en interdit l’accès et embauche un gardien. Elle fait ensuite appel à une délégation de scientifiques, dirigée par le frère Marie-Victorin, alors professeur de botanique à l'Université de Montréal, pour dresser un inventaire de la flore. Dans son rapport, le frère Marie-Victorin, reconnu comme le père de la botanique québécoise, insiste sur l'importance de conserver l'état naturel de l'île pour les sciences naturelles, en la décrivant comme « un terrain d'observation et d'expérience pratiquement vierge, et qui sera le complément nécessaire du laboratoire » (NOTE 5).
Plaque commémorative.
Même si, à l'origine, la Société Provancher s'intéresse surtout à l'histoire naturelle de l'île, elle ne tarde pas à découvrir la richesse de son histoire culturelle. Dès les années 1930, Sylvio Dumas, un homme d'affaires de Trois-Pistoles passionné d'histoire, se pique de curiosité pour les fours de l'île aux Basques et entreprend des recherches en collaboration avec Edmond Buron, l’archiviste du Canada en poste à Paris, qui, de son côté, mène des recherches au Pays basque. Dumas publie plusieurs articles dans les journaux locaux. C'est grâce à l'intérêt suscité par ses recherches que la Société Provancher entreprendra la restauration des fours en 1938 et qu’elle fera classer le site par la Commission des monuments historiques du Québec. Celle-ci érigera une plaque commémorative sur la plage présumée du débarquement des Basques et commandera la rédaction de La petite histoire de l'île-aux-Basques et des îles Razades, publiée en 1940.
La construction du patrimoine culturel de l’île aux Basques se poursuit après la guerre lorsqu’en 1961 l’archéologue Michel Gaumond, au service du ministère de la Culture du Québec, fait une reconnaissance visuelle des sites basques et que Charles Martijn, au service du même ministère, pratique une première intervention archéologique sur un site amérindien à l’ouest de l’île, quelques années plus tard(NOTE 6). Puis, en partenariat avec l’Université Laval, le ministère de la Culture du Québec et Patrimoine canadien, la Société Provancher commande une nouvelle série d’interventions archéologiques. Menées de 1990 à 1998, elles mettent au jour les nombreux sites amérindiens et basques de l’île et en révèlent la richesse. L’ampleur et l’originalité des résultats conduisent à la publication d’un nouveau livre en 1997, L’île aux Basques, et à la construction d’un préau pour interpréter les sites mis à jour. Les deux paliers de gouvernement interviennent, chacun à son tour, pour consacrer l’île site patrimonial national. Elle est reconnue Lieu historique national du Canada par le gouvernement du Canada en 2001, puis Réserve naturelle par le gouvernement du Québec en 2005.
Transposer le patrimoine de l’île sur la terre ferme
Les activités de reconnaissance et d’édification du patrimoine de l’île aux Basques ne tardent pas à déborder sur la terre ferme. Les populations locales s’approprient rapidement cette île, devenue un trésor à préserver, pour en faire un marqueur identitaire de toute une région. Dès 1938, un double de la plaque commémorative érigée sur l’île par la Commission des monuments historiques du Québec est dressé au cœur de la ville de Trois-Pistoles par la municipalité, devant l’église, à l’angle du principal carrefour de la ville. Ce geste, qui exprime déjà le désir d’intégrer le patrimoine de l’île à la ville et à la région, est suivi, quelques années plus tard, par le baptême d’une rue des Basques à Trois-Pistoles. Les artistes locaux commencent alors à peindre des scènes de pêche à la baleine et de fonte des graisses sur l’île. La plus célèbre représentation de cette scène primitive de fondation est celle de Léo-Paul D’Amours, exposée à la Caisse populaire Desjardins de Trois-Pistoles, la principale banque de la région. Cette sensibilité artistique pour le fait basque se manifeste encore à travers le nom de l’un des artistes contemporains les plus réputés de la région, Léonard Parent, qui porte le pseudonyme de « Basque ». En 1972, l’un des plus importants organismes de la région, la commission scolaire, devient « la commission scolaire des Basques ».
Parc de l'aventure basque en Amérique
Le mouvement prend de l’ampleur à partir de 1979, lorsque la municipalité régionale de comté (MRC) adopte officiellement le nom de « MRC des Basques ». L’expression la plus récente de ce désir de patrimonialiser l’île sur la terre ferme est la construction à Trois-Pistoles, chef-lieu de la région, d’un centre muséographique nommé le Parc de l’aventure basque en Amérique, en 1995-1996. À l’intérieur de ce bâtiment, l’exposition reconstruit l’île et son histoire à échelle réduite. À l’extérieur sont aménagés un terrain de jeux pour enfants qui reproduit les principaux artéfacts du site : la chaloupe, le four, l’abri et la baleine qui fait fonction de glissoire, ainsi qu’un fronton et un terrain de sport destiné à sensibiliser la population au sport national des Basques : la pelote basque. Le fronton fait d’ailleurs plus qu’évoquer la « basquitude », il invite les Pistolois à entrer dans un jeu d’identification, à se mettre en lieu et place des Basques. Ainsi, le patrimoine de l’île aux Basques anime la vie sociale de Trois-Pistoles et de toute la MRC des Basques.
En plus de donner son nom à la région et de lui léguer son riche patrimoine, l’île aux Basques lui insuffle aujourd’hui une partie de sa vitalité.
Laurier Turgeon
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique
Université Laval
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Vidéos
Le patrimoine de l'île aux BasquesLe patrimoine naturel et culturel de l’île aux Basques est riche et varié, marqué par les Basques et les Amérindiens. À la suite des recherches archéologiques effectuées récemment, les nouveaux objectifs de la Société Provencher, propriétaire de l’île, sont de permettre à la population environnante et aux visiteurs de découvrir ces richesses, tout en assurant la protection et la conservation du territoire qui est sa vocation initiale. La mise en valeur du patrimoine basque est assurée par la création de l’Institut polyvalent basque de Trois-Pistoles, en 1994, un centre d’interprétation, d’excursions et de documentations historiques basques.
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Durée : 5 min 1 sec
Les Amérindiens à l’île aux BasquesSelon les résultats des fouilles archéologiques effectuées sur l’île aux Basques, la variété d’outils trouvés permet de constater l’existence d’un carrefour d’échange sur l’île à une certaine époque, grâce à son environnement naturel, ses ressources et sa situation géostratégique. La découverte de matériaux datant de plusieurs époques à l’une des extrémités de l’île témoigne d’une présence amérindienne dès les 7e et 8e siècles et qui se poursuit après le passage des Basques.
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Durée : 3 min 9 sec
Les Basques à l’île aux BasquesCe documentaire présente l’histoire des Basques venus pêcher la baleine dans l’estuaire du Saint-Laurent. Avec les images d’une pêche à la baleine filmée au début du 20e siècle, on raconte les méthodes de la pêche basque qui avait pour objectif de produire l’huile destinée à l’éclairage des villes d’Europe. Des fourneaux ainsi que des armes de chasse et pêche trouvés lors des fouilles archéologiques effectuées sur l’île permettent de mieux comprendre ces techniques de pêche et confirment la présence d’importantes activités de traite dans le Saint-Laurent dès le 16e siècle.
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Durée : 6 min 10 sec
Une visite à l'île aux BasquesCette visite à l’île aux Basques présente la richesse de son patrimoine naturel et la diversité de sa flore et de sa faune, qui en fait un paradis pour l’observation. Sur l’île, un centre de recherches de l’Université Laval est établi en 1990 afin d’étudier les traces laissées par le passage de pêcheurs basques, tout particulièrement les fourneaux pour fondre et recueillir la graisse des baleines. Des fouilles archéologiques sont effectuées pour découvrir les activités pratiquées par les Basques et les Amérindiens.
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Photos
Adaptation de la pelo
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Contrat d'avitaillement pour le navire la Marie de Saint-Vincent (Ciboure) 30 avril 1586Avitaillement pour le navire la Marie de Saint-Vincent (Ciboure) destiné à Terre-Neuve et au Canada (Gaspé) pour la pêche à la morue, la chasse à la baleine et la traite des fourrures (document conservé aux Archives départementales de la Gironde, Bordeaux, France, 3E 5427, fos. 265v-267r (30 avril 1586). Taille: 347 Kb
Transcription du contrat d'avitaillement pour le navire la Marie de Saint-Vincent (Ciboure) 1er avril 1586Transcription intégrale d’un contrat pour l’avitaillement du navire la Marie de Saint-Vincent (Ciboure) pour la chasse à la baleine et la traite des fourrures avec les « sauvaiges » à la « grande baye » (estuaire du Saint-Laurent) (document conservé aux Archives départementales de la Gironde, Bordeaux, France, 3E 5420, fos. 551v-552r, 1er avril 1586). Taille: 41 Kb
Un parc thématique aux Trois-Pistoles présente les Basques découvreurs du CanadaCarl Thériault, « Les Basques découvreurs du Canada », Le Soleil, 8 juin 1996, p.E1-E2
Bibliographie
1. Robert Gauthier et Michelle Garneau, « La flore vasculaire de l’île », dans J. C. Raymond Rioux (dir.),L’île aux Basques, Québec, Société Provancher d’histoire naturelle du Canada, 1997, p. 59-86.
2. Marcel Darveau, « Les oiseaux de l’île », dans J. C. Raymond Rioux (dir.), L’île aux Basques, p. 101-120.
3. Laurier Turgeon, Patrimoines métissés : contextes coloniaux et postcoloniaux, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme; Québec, Presses de l’Université Laval, 2003, p. 95-128.
4. Laurier Turgeon, « French Fishers and Amerindians in Northeastern North America during the Sixteenth Century : History and Archaeology », William and Mary Quarterly, vol. 55, no 4, 1998, p. 585-610.
5. Cité dans La petite histoire de l’île-aux-Basques et des îles Razades, Québec, Société Provancher d’histoire naturelle du Canada, 1940, p. 20.
6. Michel Gaumont, Documentation sur le site des fours à fondre l’huile à l’île aux Basques (DaEh-4), rapport remis au ministère des Affaires culturelles, Québec, 1961, n. p.; Charles A. Martijn, « Ile aux Basques and the Prehistoric Iroquois Occupation of Southern Quebec », Cahiers d’archéologie québécoise, mars 1969, p. 53-114.
Four à fondre les graisses de baleine. Photo : Laurier Turgeon
Cette petite île de deux kilomètres de long et d’un demi-kilomètre de large, située dans l’estuaire du Saint-Laurent face à la ville de Trois-Pistoles, est reconnue comme site patrimonial tant pour la richesse de ses ressources naturelles que culturelles.
La Société Provancher d’histoire naturelle du Canada achète en 1929 l’île aux Basques pour en faire une des toutes premières réserves naturelles protégées au Québec, en raison de sa grande diversité ornithologique.
En effet, on y compte quelque 229 espèces recensées, soit près des deux tiers des espèces d’oiseaux connues dans la province. Quant à l’histoire culturelle, l’île renferme une variété importante de sites amérindiens et elle constitue le premier lieu d’établissement des Basques sur le territoire actuel du Québec, à la fin du XVIe siècle.
L’île aux Basques est donc l’un des premiers sites d’occupation européenne dans l’est du Canada. Un centre muséographique, baptisé Parc de l’aventure basque en Amérique, a été construit en 1996 sur la terre ferme, à Trois-Pistoles, et un autre sur l’île en 1999, afin d’informer le public de cette page fascinante mais peu connue de l’histoire canadienne.
La Commission des lieux et monuments historiques du Canada a classé l’île aux Basques Lieu historique national du Canada en 2001.
Une nature riche par sa variété
La richesse du patrimoine naturel de l’île aux Basques réside dans la grande variété des espèces de plantes et d’oiseaux qu’on y trouve, qui contraste fortement avec la petitesse de l’île.
Crédit vidéo Jonathan Nicole
D’une superficie d’à peine 55 hectares, l’île renferme 336 espèces de plantes et 229 espèces d’oiseaux différentes. Cette forte concentration de végétaux et de volatiles sur une aussi petite superficie en fait un lieu d’observation exceptionnel pour les visiteurs.
La diversité de l’île aux Basques s’explique par sa géographie, puisqu’elle est située dans la zone de transition de l’estuaire du Saint-Laurent, où s’effectue le passage de l’eau douce à l’eau salée, et dans un territoire de forêt mixte.
L’île accueille donc des oiseaux d’eau douce, de milieu marin, des forêts de feuillus et des forêts de conifères. De plus, comme elle est située à cinq kilomètres de la terre ferme, les oiseaux y sont à l’abri des prédateurs et peuvent nicher et se reproduire sans danger.
Primula laurentiana
L’île aux Basques représente une réserve importante de plantes autochtones et un lieu d’observation de la végétation d’origine du Québec. En effet, la plupart des plantes sont indigènes en raison de l'isolement et de la faible fréquentation humaine de l’île.
Le couvert végétal se singularise aussi par son nombre élevé de plantes arctiques, quatorze en tout, soit beaucoup plus que dans les régions avoisinantes (NOTE 1). Certaines parties de l’île ressemblent aux paysages pelés de la toundra, balayés par les vents du nord-ouest et entourés par les eaux froides du courant du Labrador qui vient mourir dans l’estuaire du Saint-Laurent.
Plusieurs spécimens de plantes rares se trouvent également sur l’île, notamment la violette à fleur blanche, Viola adunca, découverte par le botaniste canadien Jacques Rousseau en 1933, introuvable ailleurs au Québec. Signalons aussi la Primula laurentiana, petite primevère qui orne les rochers maritimes et dont l’île aux Basques marque la limite méridionale de sa répartition en Amérique du Nord.
Eider à duvet
Toutefois, l’île aux Basques est surtout connue pour l’abondance et la variété de ses oiseaux. Pendant les périodes de migration, à l’automne et au printemps, la population des oiseaux monte en flèche. Sur la centaine d’espèces d'oiseaux qui nichent sur l’île, l’eider à duvet est l’espèce dominante. Ce canard demeure très recherché pour la qualité de son duvet, comme son nom l’indique. Parmi les plus majestueux oiseaux qu’on peut observer à l’île, citons le grand héron, d’une envergure de 1,80 m et dont la colonie compte une vingtaine de couples annuellement.
Tout aussi spectaculaire est le balbuzard, avec une envergure de 1,30 m, reconnaissable par son cri insistant et son nid démesurément gros. Un même couple de balbuzards a niché régulièrement à l’île aux Basques pendant une trentaine d’années.
Avant d’être un lieu d’observation, l’île a aussi servi de site de baguage des oiseaux, afin d’étudier leurs mouvements migratoires et leurs cycles de vie, ainsi que de site de chasse.
Un patrimoine historique unique
Cette petite île est aussi riche d’histoire. Les fouilles archéologiques menées ces dernières années démontrent que les groupes amérindiens la fréquentaient régulièrement bien avant l’arrivée des Européens. Les occupations amérindiennes identifiées jusqu’à ce jour remontent à la dernière grande période de la préhistoire, connue sous le nom de Sylvicole (de 1 000 ans avant notre ère jusqu’à 1 500 ans de notre ère).
L'île aux Basques semble avoir été fréquentée par de petits groupes de chasseurs-cueilleurs qui campaient sur l'île, quelques jours à la fois, au printemps et à l'été, pour pratiquer la chasse, la pêche et la cueillette.
C'est surtout le phoque commun qui attirait les populations préhistoriques, puisqu'il représente, à lui seul, plus des trois quarts des ossements exhumés des sites amérindiens.
La présence d'objets exotiques dans la collection archéologique (tels des quartzites du lac Mistassini, situé non loin de la baie James au centre nord du Québec, du quartz de la baie de Ramah située sur la côte nord du Labrador, ou encore des cherts appalachiens qui proviennent du Maine) suggère des échanges relativement importants entre les diverses populations amérindiennes du nord-est de l’Amérique.
Au cours de sa longue préhistoire, l'île aux Basques a sans doute été partagée par plusieurs groupes amérindiens, tant iroquoiens qu'algonquiens, comme l’indiquent les vestiges archéologiques trouvés sur place.
Il faut dire que l'île est située au carrefour de trois cours d'eau majeurs : le fleuve Saint-Laurent qui relie les Grands Lacs à l'océan Atlantique, le système hydrographique du Saguenay, dont l’embouchure se situe vis-à-vis de l’île aux Basques et, enfin, les rivières Saint-Jean et des Trois Pistoles, qui forment un axe de circulation nord-sud entre le golfe du Maine et le Québec central.
De lieu fréquenté par les seuls Amérindiens, l'île aux Basques est devenue au XVIe siècle une terre d'accueil des premiers établissements européens dans la vallée du Saint-Laurent.
Selon l'état actuel des connaissances, les Basques ont occupé l'île sur une base saisonnière à partir des années 1580, soit bien avant la fondation de Québec par Champlain, en 1608, ce qui en fait l’un des plus anciens sites européens du Canada actuel, dûment identifié et daté par des documents historiques et des vestiges archéologiques. C’est aussi le premier site européen du Canada qui renferme des indices probants de contacts entre les Européens et les Amérindiens.
Illustration représentant un établissement côtier destiné à la fonte des graisses de baleines.
L’île aux Basques renferme trois lieux d’occupation basques, chacun comprenant des grands fours construits en pierres locales servant à la fonte des graisses de baleine. La structure de ces fours représente un ensemble imposant, composé de murs d'environ un mètre d'épaisseur et d'un mètre de hauteur. De forme circulaire, le four soutenait une énorme chaudière en cuivre placée sur l'orifice supérieur. Une ouverture située à l’avant de la structure permettait d'alimenter le feu du foyer.
La chasse se pratiquait avec des « biscayennes », petites embarcations fines conçues pour la vitesse, qui étaient transportées sur le pont des navires baleiniers jusqu’au lieu de la chasse.
Les fouilles archéologiques démontrent que les baleines étaient remorquées avec ces biscayennes le plus près possible des rives de l’île, à marée haute. Puis la marée descendante les déposait tout naturellement sur la plage, où elles étaient dépecées et leur graisse coupée en morceaux qu’on faisait fondre dans les grands chaudrons placés sur les fours.
Fragments d'un vase présentant les attributs des vases iroquoiens. Célat, Université Laval.
Comme les Amérindiens, les Basques se sont établis sur cette île pour chasser — les uns le phoque, les autres la baleine. C'est donc probablement la chasse qui a favorisé la rencontre de ces deux groupes et le développement de leurs échanges.
Les actes notariés de Bordeaux font état de plusieurs navires basques avitaillés pour la chasse à la baleine et la traite des fourrures dans cette partie du Canada, pendant les deux dernières décennies du XVIe siècle(NOTE 4).
Les fouilles archéologiques menées à l'île aux Basques ont permis de découvrir certains de ces objets de traite, notamment des perles de verre, ainsi que des objets employés par les Basques pour pratiquer la chasse (harpon, couteaux, pots en terre cuite) et des objets typiquement amérindiens (pointes de flèche, grattoirs, vases).
L’enchevêtrement du matériel basque et amérindien était tel que les archéologues ont d’abord pensé qu’il s’agissait d’un site amérindien contenant des objets de traite basques. Puis l’hypothèse d’un site basque avec des objets amérindiens l’a emporté.
Quoi qu’il en soit, l’île aux Basques fournit un exemple intéressant d’un patrimoine métissé, comprenant les éléments de l’une et de l’autre culture. Ce patrimoine métissé de l’île aux Basques contribue à en faire un lieu patrimonial unique puisqu’il représente l’une des premières tentatives archéologiques pour étudier systématiquement les relations interculturelles dans le sol.
La mise en patrimoine de l’île
En dépit de sa riche histoire naturelle et culturelle, l’île aux Basques est restée une île du fleuve Saint-Laurent comme les autres jusqu’à ce que la Société Provancher l’achète en 1929, pour en faire un site naturel protégé.
Créée à Québec en 1919 par les élites intellectuelles de l’époque, la Société Provancher d’histoire naturelle du Canada jouit alors d’un grand prestige, entretenant des liens serrés avec la puissante National Audubon Society de New York, dont la vocation est la conservation de la faune et de la flore en Amérique du Nord.
À l’instar de sa grande sœur, la Société Provancher s’était donné comme mission de protéger la faune et la flore du Québec et de faire la chasse aux braconniers. Dès qu’elle acquiert l'île, la Société en interdit l’accès et embauche un gardien.
Elle fait ensuite appel à une délégation de scientifiques, dirigée par le frère Marie-Victorin, alors professeur de botanique à l'Université de Montréal, pour dresser un inventaire de la flore. Dans son rapport, le frère Marie-Victorin, reconnu comme le père de la botanique québécoise, insiste sur l'importance de conserver l'état naturel de l'île pour les sciences naturelles, en la décrivant comme « un terrain d'observation et d'expérience pratiquement vierge, et qui sera le complément nécessaire du laboratoire »
Plaque commémorative.
Même si, à l'origine, la Société Provancher s'intéresse surtout à l'histoire naturelle de l'île, elle ne tarde pas à découvrir la richesse de son histoire culturelle. Dès les années 1930, Sylvio Dumas, un homme d'affaires de Trois-Pistoles passionné d'histoire, se pique de curiosité pour les fours de l'île aux Basques et entreprend des recherches en collaboration avec Edmond Buron, l’archiviste du Canada en poste à Paris, qui, de son côté, mène des recherches au Pays basque.
Dumas publie plusieurs articles dans les journaux locaux. C'est grâce à l'intérêt suscité par ses recherches que la Société Provancher entreprendra la restauration des fours en 1938 et qu’elle fera classer le site par la Commission des monuments historiques du Québec. Celle-ci érigera une plaque commémorative sur la plage présumée du débarquement des Basques et commandera la rédaction de La petite histoire de l'île-aux-Basques et des îles Razades, publiée en 1940.
La construction du patrimoine culturel de l’île aux Basques se poursuit après la guerre lorsqu’en 1961 l’archéologue Michel Gaumond, au service du ministère de la Culture du Québec, fait une reconnaissance visuelle des sites basques et que Charles Martijn, au service du même ministère, pratique une première intervention archéologique sur un site amérindien à l’ouest de l’île, quelques années plus tard
Puis, en partenariat avec l’Université Laval, le ministère de la Culture du Québec et Patrimoine canadien, la Société Provancher commande une nouvelle série d’interventions archéologiques. Menées de 1990 à 1998, elles mettent au jour les nombreux sites amérindiens et basques de l’île et en révèlent la richesse. L’ampleur et l’originalité des résultats conduisent à la publication d’un nouveau livre en 1997, L’île aux Basques, et à la construction d’un préau pour interpréter les sites mis à jour. Les deux paliers de gouvernement interviennent, chacun à son tour, pour consacrer l’île site patrimonial national. Elle est reconnue Lieu historique national du Canada par le gouvernement du Canada en 2001, puis Réserve naturelle par le gouvernement du Québec en 2005.
Transposer le patrimoine de l’île sur la terre ferme
Les activités de reconnaissance et d’édification du patrimoine de l’île aux Basques ne tardent pas à déborder sur la terre ferme. Les populations locales s’approprient rapidement cette île, devenue un trésor à préserver, pour en faire un marqueur identitaire de toute une région.
Dès 1938, un double de la plaque commémorative érigée sur l’île par la Commission des monuments historiques du Québec est dressé au cœur de la ville de Trois-Pistoles par la municipalité, devant l’église, à l’angle du principal carrefour de la ville.
Ce geste, qui exprime déjà le désir d’intégrer le patrimoine de l’île à la ville et à la région, est suivi, quelques années plus tard, par le baptême d’une rue des Basques à Trois-Pistoles. Les artistes locaux commencent alors à peindre des scènes de pêche à la baleine et de fonte des graisses sur l’île. La plus célèbre représentation de cette scène primitive de fondation est celle de Léo-Paul D’Amours, exposée à la Caisse populaire Desjardins de Trois-Pistoles, la principale banque de la région.
Cette sensibilité artistique pour le fait basque se manifeste encore à travers le nom de l’un des artistes contemporains les plus réputés de la région, Léonard Parent, qui porte le pseudonyme de « Basque ». En 1972, l’un des plus importants organismes de la région, la commission scolaire, devient « la commission scolaire des Basques ».
Parc de l'aventure basque en Amérique
Le mouvement prend de l’ampleur à partir de 1979, lorsque la municipalité régionale de comté (MRC) adopte officiellement le nom de « MRC des Basques ».
L’expression la plus récente de ce désir de patrimonialiser l’île sur la terre ferme est la construction à Trois-Pistoles, chef-lieu de la région, d’un centre muséographique nommé le Parc de l’aventure basque en Amérique, en 1995-1996. À l’intérieur de ce bâtiment, l’exposition reconstruit l’île et son histoire à échelle réduite.
À l’extérieur sont aménagés un terrain de jeux pour enfants qui reproduit les principaux artéfacts du site : la chaloupe, le four, l’abri et la baleine qui fait fonction de glissoire, ainsi qu’un fronton et un terrain de sport destiné à sensibiliser la population au sport national des Basques : la pelote basque.
Le fronton fait d’ailleurs plus qu’évoquer la « basquitude », il invite les Pistolois à entrer dans un jeu d’identification, à se mettre en lieu et place des Basques. Ainsi, le patrimoine de l’île aux Basques anime la vie sociale de Trois-Pistoles et de toute la MRC des Basques.
En plus de donner son nom à la région et de lui léguer son riche patrimoine, l’île aux Basques lui insuffle aujourd’hui une partie de sa vitalité.
Laurier Turgeon
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique
Université Laval
Le patrimoine de l'île aux Basques
Le patrimoine naturel et culturel de l’île aux Basques est riche et varié, marqué par les Basques et les Amérindiens. À la suite des recherches archéologiques effectuées récemment, les nouveaux objectifs de la Société Provencher, propriétaire de l’île, sont de permettre à la population environnante et aux visiteurs de découvrir ces richesses, tout en assurant la protection et la conservation du territoire qui est sa vocation initiale. La mise en valeur du patrimoine basque est assurée par la création de l’Institut polyvalent basque de Trois-Pistoles, en 1994, un centre d’interprétation, d’excursions et de documentations historiques basques.